Article dans Le Monde du 12 août 2010

Le retour de la chaleur du Sud

Etape 26 : Moreilles (Vendée) – Aulnay (Charente-Maritime)

(…) Nous logeons chez Renaud-Pierre, un diplômé de l’Essec revenu dans le marais poitevin après avoir épousé une Thaïlandaise et vendu du Dom Pérignon aux Américains. Les chambres d’hôtes de son castel, le gazouillis de leur bébé et le retour au calme lui procurent davantage de bonheur que mille soirées new-yorkaises. Un exemple de réussite de néoruralisation.

Il déplie sur la table une grande carte du marais, tachetée de vert et de bleu, kaléidoscope d’une réalité fascinante. Ses doigts courent sur le plan, dessinent de larges cercles, sa bouche se remplit de mots étranges : bot, contre-bot, levée, porte à flots… Il nous entraîne à la surface de la deuxième zone la plus humide de France, du marais desséché au marais mouillé, et remonte les siècles : « Niort avait presque les pieds dans l’eau, dit-il, tout ici n’était qu’océan et îlots calcaires, moines et abbayes, un peu comme la lagune de Venise. Les cisterciens creusèrent le premier canal à la main, en 1199. » A l’aide d’un marqueur rose fluo, il surligne notre étape jusqu’à Aulnay. Son épouse, Korakot, nous sert une tasse de café. « La légende affirme que le marais s’est fait en une nuit, poursuit-il. La mer s’est mystérieusement retirée, d’un coup, laissant derrière elle un marécage sauvage. »

En regardant la carte, tu comprends que cet hiver, lors des inondations dans la baie de l’Aiguillon, l’océan a tenté de reprendre ce qui lui appartenait. « Nous sommes donc sur une sorte de polder, non ? », demande Alex 007, captivé. « Exact ; Henri IV avait d’ailleurs engagé des ingénieurs hollandais pour organiser l’irrigation et nettoyer le marais. Pas suffisamment au goût du cardinal de Richelieu, qui avait surnommé Luçon ‘’ l’évêché le plus crotté de France !’’ »

Quand nous avons quitté Renaud-Pierre, le soleil était au zénith. Lumière jaune marocaine, vent tournant comme dans le Nebraska, champs de tournesols, blé moissonné, poussière. Virage à gauche, cap sud-est : je m’enfonce dans une campagne dorée, presque brûlée, qui me rappelle la Castille. Alex 007 m’offre une tranche d’un juteux melon, je retrouve la chaleur du Sud, celle qui frappe la nuque, alourdit les épaules et cuit le cerveau comme un œuf à la coque. (…) Loin de chez soi, on apprend à être personne. « Celui qui voyage est toujours un vagabond, un étranger, un invité, écrit Claudio Magris dans Trois Orients. Il dort dans des chambres qui ont abrité des inconnus avant lui, il ne possède pas l’oreiller sur lequel il pose la tête ni le toit qui le protège. Il comprend qu’on ne peut jamais vraiment posséder une maison, un espace taillé dans l’infini de l’univers, mais seulement s’y arrêter, pour une nuit ou pour la vie, avec respect et gratitude. »

Guillaume Prébois – http://www.guillaumeprebois.com